mercredi 17 novembre 2010

Tiens, tiens, cela me rappelle quelque chose...























Pendant l'année scolaire 2008-2009, avec les élèves de ma classe, nous avions fabriqué un livre décor dont le concept était très proche de celui-ci: à la fois lisible en doubles-pages et dé-pliable pour recréer l'univers du récit. Nous avions travaillé sur l'histoire du Petit Chaperon rouge et nous avions donc représenté sur la bande déroulée un chemin allant de la maison du PCR à celle de sa grand-mère, en passant par les bois, où le chemin se dédoublait. Ne maîtrisant pas la technique du pop up, j'avais posé un point de vue du haut. Nous avions donc illustré notre livre en reprenant le point de vue utilisé dans Micro-Loup, la maison de la grand-mère était étêtée pour permettre l'accès aux décors intérieurs.  Les personnages eux-aussi étaient représentés vu d'en haut et ils étaient amovibles pour permettre aux élèves de rappeler le récit (marotte+décor chronologique).
En tant qu'outil de travail, ce genre de livre décor permet d'aider les élèves à maîtriser la notion de permanence du personnage: ce n'est pas parce qu'on parle du PCR que le loup n'existe plus et n'agit plus, au contraire. C'est bien pendant que la petite batifole dans les fleurs du bois que le loup "s'occupe" de sa grand-mère...
Cela permet aussi de travailler les liens entre les personnages grâce aux moments/lieux de rencontre, mais aussi l'intention des personnages (qui détermine leurs actions et leurs paroles), et l'anticipation narrative (ne pas oublier de placer la grand-mère dans son lit pour que le loup l'y trouve, ou le chasseur dans le bois pour s'assurer le dénouement).
Paradoxalement, le fait de voir et rappeler l'histoire dans un décor global a aidé les élèves à mieux appréhender les différentes étapes du récit. Pour raccourcir, je dirais qu'il semble bien que le fait d'avoir une vision globale de l'univers du récit en amont, créé, décortiqué et rendu ensuite linéaire et cohérent, avec l'objectif explicite de s'aider le l'objet pour mieux raconter, permet aux élèves de développer leur compétences narratives. À développer... (dans un mémoire professionnel...)

jeudi 11 novembre 2010

Les Trois petits cochons

Résumé élaboré en dictée à l'adulte:
"C'est l'histoire de trois petits cochons trop grands pour rester dans la maison de leur mère.
Ils prennent chacun leur chemin pour se construire une maison. Le premier fait sa maison en paille, le deuxième en bois et le troisième en briques et en pierre.
Le grand méchant loup gratte à la porte: "Ouvre la porte!" Il veut manger les petits cochons.
Le petit cochon à la maison en paille n'ouvre pas, alors le loup souffle sur la maison qui se réduit en poussière. Le cochon se sauve chez son frère qui a la maison en bois.
Le loup gratte à la porte: "Ouvrez-moi!"
Ils se serrent dans les bras parce qu'ils ont tellement peur, mais ils n'ouvrent pas la porte.
Le loup souffle sur la maison qui se réduit en morceaux de bois. Les deux cochons vont chez le troisième à la maison de pierre.
Le loup gratte à la porte: "Ouvrez-moi!", mais les trois cochons n'ouvrent pas.
Le loup souffle, mais la maison ne tombe pas parce qu'elle est trop solide. Alors, le loup grimpe sur le toit pour descendre par la cheminée. Les trois petits cochons mettent une marmite d'eau à chauffer. Quand le loup descend, il tombe dans la marmite d'eau bouillante."

Intention (et/ou désir) des personnages explicite
Intention des personnages implicite

Maintenant que nous commençons à composer des textes assez longs, nous allons les rendre plus complexes et les améliorer, en essayant de rendre explicites les désirs des personnages, les intentions qui se forment à partir de là, pour en arriver à l'action, et ainsi de suite.

Culture littéraire

Voici les histoires de loup que les élèves déclarent connaître (un élève propose un titre, ceux qui connaissent lève le doigt):
  • Le Petit Chaperon Rouge : 17
  • Les trois petits cochons : 20
  • Pierre et le loup : 20, spectacle invité à l'école l'année dernière, projets de classe
  • Le loup conteur : 21, lu avant les vacances et la semaine dernière
  • Loulou : 20 (Grégoire Solotareff)
  • Le loup sentimental : 11, spectacle invité à l'école il y a deux ans
  • Le loup jardinage : 10 (inconnu même pour Google)
  • Le loup qui a tout le temps peur : 9 (titre très approximatif)
  • Qui a peur du loup? : 1 (Alex Sanders)
  • Tête à claques : 18 (Philippe Corentin)
  • Wallace et Gromit et le loup-garou : 10

samedi 6 novembre 2010

Raconter des histoires de loup

Voilà notre objectif pour la période en cours. Rien de mieux qu'une histoire pour se mettre en projet.
J'ai donc lu aux enfants Le Loup conteur de Becky BLOOM et Pascal BIET.

"Avant, le loup était un grand méchant loup: il ne pensait qu'à manger. Quand il a voulu attaquer le canard, le cochon et la vache, ils n'ont pas eu peur. Le loup est surpris: d'habitude les animaux s'enfuient. Ceux-là sont concentrés sur leur livre. Le loup décide alors d'apprendre à lire."

J'avais bien sûr une petite idée derrière la tête en leur lisant cette histoire car il s'agit d'un récit mettant en scène la valeur de la culture, en particulier de la lecture, pour évoluer de l'animal sauvage à l'animal alphabétisé. Mais l'album va plus loin encore sans qu'on s'en rende forcément compte.

Pour les stagiaires avec qui j'ai eu des échanges sur la compréhension et les moyens de la travailler:

Cet album est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et mériterait une analyse poussée sur la façon dont la théorie de l'esprit et le langage y sont mis en situation. Quelques éléments pour une première approche:
- le loup agit selon son désir:
Le loup a faim, il veut manger. Il sait qu'il y a une ferme toute proche. Il agit donc en conséquence et se rend à la ferme avec l'intention d'y manger des animaux.
- le loup éprouve des émotions:
Les animaux de la ferme ne réagissent pas quand il se rue sur eux. Le loup pensait qu'ils auraient peur, ils est donc surpris de constater le contraire.
- les animaux de la ferme adaptent leur comportement à leur environnement et leur savoir:
Les animaux de la ferme connaissent le loup car ils l'ont rencontré dans les livres (tout le monde sait que dans les livres, le grand méchant loup est si bête qu'on peut toujours lui échapper) et on n'a pas peur de l'autre quand on le connaît. Le canard, le cochon et la vache ne s'enfuient donc pas au cri du loup contrairement aux volatiles non lecteurs.
- le loup adapte son comportement à l'environnement et au comportement/discours des autres:
Les animaux ne s'enfuient pas et déclarent qu'ils n'ont pas peur car ils savent qui il est : ils savent lire. 
Le loup constate qu'ils ne s'enfuient pas, entend qu'ils savent qui il est et qu'ils n'ont pas peur. Il utilise ce que la psychologie profane appelle la théorie de l'esprit (ce qu'il sait de l'esprit et de ce que fait l'esprit) pour agir: ce que les trois animaux savent du monde grâce à la lecture les protège de la peur et attire ainsi son attention.
Il va à l'école, puis à la bibliothèque, puis à la librairie pour monter à la fin une troupe de conteurs avec les trois animaux téméraires.
À chaque retour à la ferme pour faire état de ses avancées en lecture, son entrée devient de plus en plus civilisée: de passer par dessus la clôture à sonner en passant par frapper, le progrès technique témoigne des progrès de l'apprenti lecteur.
Par ailleurs, la réaction des animaux à ses prestations en lecture le font réagir: ils trouvent qu'il annone en sortant de l'école, il fréquente la bibliothèque pour s'exercer; ils trouvent qu'il lit sans modulation, il acquiert son premier livre de contes pour apprendre à interpréter les histoires; il rend ensuite les histoires tellement vivantes qu'ils décident tous ensemble de devenir conteurs et de partir en tournée.
Tous ces animaux sont entrés en réelle communication: une communication où le point de vue de l'autre engage à progresser, un peu par défi, mais aussi par stimulation, par surprise des capacités qui ne demandent qu'à se développer.

Bien sûr, toutes ses petites réflexions ne sont pas du tout destinées aux élèves, mais bien à l'enseignant, qui, s'il y prête attention peut formuler des questions qui attireront l'attention des enfants sur les émotions des personnages, le lien avec leurs actions, ce que les personnages savent des autres et/ou croient savoir des autres et comment cela influe sur leurs actions.

Exemple de questions (langage parfois simplifié pour éviter des inversions sujet/verbe qui seraient un obstacle inutile):
  • Quand le loup entre en hurlant dans la basse-cour, que veut-il faire? (= attirer l'attention sur les intentions des personnages, qui les poussent à agir d'une certaine façon)
  • Le loup hurle en entrant dans la basse-cour. Dans sa tête, il pense que les animaux vont faire quoi?
  • Que se passe-t-il en réalité? (= redéfinition de l'univers à partir des faits);
  • Les trois animaux en train de lire ne s'enfuient pas. Comment le loup se sent-il?
  • Que sont en train de faire les animaux quand le loup arrive en hurlant? (= redéfinition);
  • Les animaux sont en train de lire et ils entendent les hurlements du loup. Que pensent-ils? Que pensent-ils du loup? (c'est certainement la question la plus difficile, sur laquelle il faudra revenir en fin de projet quand les enfants auront une culture commune du personnage du loup en littérature, car la réponse implique un archétype connu);
  • Les animaux expliquent au loup qu'ils le connaissent grâce aux livres. Le loup a vu qu'ils n'avaient pas peur. Le loup se dit quoi? (= rendre explicite la possibilité d'un langage intérieur, rendre explicite le lien entre le discours des personnages et le discours/comportement d'un autre). Que veut faire le loup? (= intentions) ;
  • etc.
On voit ici que les questions sur les faits sont moins nombreuses et uniquement dans le but de recadrer la réflexion. Elles définissent l'univers de référence mais ne peuvent pas témoigner à elles seules de la compréhension que les enfants ont du récit.
À l'inverse, les questions les plus porteuses de sens et d'apprentissage sont celles qui attirent l'attention sur l'état d'esprit du personnage, ses émotions, ses intentions, l'effet de son discours ou de son comportement sur l'esprit de l'autre.